Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
31 janvier 2009 6 31 /01 /janvier /2009 06:30

Les RASED (réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté) 

null

Lille, le 17 janvier 2009


Lettre ouverte à Monsieur Darcos, Ministre de l’Education Nationale :


« La non-prise en charge de l’échec scolaire chez des enfants qui ont des problèmes affectifs, cela se répercute sur une vie entière ! En matière d’enfance, on fait toujours de mauvais calculs : on fait des choix en vue d’économies à court terme, qui coûtent des fortunes sur le long terme ». Claude Halmos.

L’école est une institution qui incarne des valeurs humanistes. Liées à la notion d’éducabilité, ces valeurs font voir en chaque enfant un être global, un sujet en devenir capable d’évolutions positives. Aussi, l’affirmation de ces valeurs passe-t-elle par la scolarisation accompagnée des enfants handicapés en milieu ordinaire, objectif affiché et mis en oeuvre depuis plusieurs années maintenant. Pour autant, comment cette volonté politique légitime de développer le « versant intégratif du handicap » dans les écoles pourrait-elle se concevoir sans la prise en compte, parallèlement, des difficultés d’apprentissages ou d’adaptation dont les origines sont multicausales : des difficultés liées à la séparation momentanée du petit enfant de maternelle avec sa famille jusqu’aux problèmes plus aigüs liés aux parcours tourmentés ou chaotiques de certaines familles ? Comment ne pas voir, en effet, que de plus en plus nombreux sont les enfants mis à contribution lors d’évènements trop lourds pour leur degré de maturité ( divorces, conflits familiaux, ruptures ou changements fréquents mal accompagnés, chômage, précarité, images et informations perturbatrices : trop d’inquiétudes qui placent l’enfant dans un statut « d ‘adulte prématuré » ) ? Comment ne pas voir que de plus en plus nombreux sont les enfants qui souffrent de carences affectives et surtout éducatives, quels que soient leur milieu d’origine et leur école ? Et comment, dans un souci de justice sociale, ne pas chercher institutionnellement à remédier aux problèmes que cela peut engendrer dans l’accès aux apprentissages et à la réussite scolaire de tous ?

C’est à partir de ces valeurs et de ces questionnements qu’en tant qu’enseignants spécialisés nous vous envoyons cette lettre car nous ne pouvons rester sans réagir face à ce que nous considérons, à travers la « sédentarisation » de 3000 maîtres spécialisés ( rééducateurs option G et psychopédagogues option E ) envisagée à la rentrée prochaine, comme les prémices du démantèlement des Réseaux d’Aides Spécialisées aux Elèves en Difficulté ( RASED ). Comment un dispositif jugé a priori inefficace dans la lutte contre l’échec scolaire une fois amputé de 3000 postes pourrait-il s’avérer plus performant alors même que la situation sociale et économique des familles s’aggrave ? Dans de telles conditions, il ne fait pas de doute que l’évaluation des RASED restants conduise à leur disparition ( celle-ci était d’ailleurs initialement programmée sur trois ans ).

Le projet de budget 2009 prévoit en effet la réaffectation et la « sédentarisation » de 3000 postes de maîtres E et G des RASED. Dans le projet de loi de finances, cette décision est justifiée par la suppression des cours du samedi matin qui permet aux enseignants de « consacrer du temps au soutien des élèves ». Il est précisé qu’en conséquence, il « convient de sédentariser une partie des maîtres spécialisés dans le traitement de la difficulté scolaire qui, aujourd’hui, prennent en charge cet accompagnement spécifique », et donc « de remplacer par ce biais 3000 enseignants partant à la retraite ». Dans votre réponse en date du 26 /11/08 à la question d’un député de la Charente, vous stipulez que « les élèves rencontrant des difficultés reçoivent l’aide nécessaire pour les surmonter » dans le cadre de l’aide personnalisée apportée par les enseignants « généralistes ». Si cette mesure peut s’avérer appropriée pour certains élèves ayant des difficultés passagères ou ponctuelles, elle constitue selon nous ainsi que la majorité des enseignants et inspecteurs de circonscription (1), une réponse insuffisante voire inadaptée pour ceux qui éprouvent des difficultés persistantes et résistantes à la différenciation pédagogique mise en place par les enseignants dans leurs classes. Aussi, si des collègues apprécient le travail en petits groupes mis en oeuvre à travers l’aide personnalisée, sont-ils de plus en plus nombreux à formuler leur impuissance à faire évoluer positivement les élèves en grande difficulté, ceux dont les problèmes sont le plus souvent cumulés. A mesure que l’année scolaire s’écoule, ils expliquent également que cette aide personnalisée tend à alourdir le temps de présence des élèves les plus fragiles sans tenir compte de leur rythme biologique ( tant pis si ces élèves, généralement très fatigables, ont à peine le temps de manger le midi, ou doivent commencer les cours plus tôt le matin ou finir plus tard que les autres, le soir ! ). Elle peut même s’avérer contre-productive pour certains élèves trop rétifs à l’école, pour lesquels rajouter un peu plus de scolaire ne fait que « renforcer» le symptôme de rejet. Enfin, ce dispositif de l’aide personnalisée tend à donner de la difficulté scolaire une représentation très réductrice : la difficulté scolaire se joue sur une partition bien plus complexe que la simple difficulté passagère de compréhension !

Ces constats viennent confirmer la nécessité de professionnels formés au traitement de la difficulté ancrée et persistante dans le cadre des horaires scolaires impartis aux enfants. Or, depuis la mise en place du soutien hebdomadaire, la confusion a été entretenue entre aide spécialisée, aide personnalisée et soutien scolaire tandis que le discrédit était porté sur les interventions des maîtres spécialisés, sans qu’aucune évaluation qualitative sérieuse du dispositif RASED n’ait été conduite. Si bien que l’on peut tout aussi légitimement ou subjectivement rétorquer à vos propos sur le taux d’échec à l’entrée en 6ème que ce n’est pas à cause des interventions spécialisées que ce taux avoisine les 15% mais grâce à elles qu’il n’est pas plus élevé !

Le dispositif RASED n’est plus reconnu aujourd’hui par votre ministère. Pour preuve, aucune mention sur le recours possible au RASED n’est relevable dans le livret distribué aux familles en début d’année scolaire. Vous proposez en outre à 1500 d’entre nous de redevenir des enseignants généralistes ( lesquels ? Selon quels critères ? ) ; à 1500 autres d’être affectés dans une école en « surnuméraire » ( dans le dictionnaire, défini par ce qui « est de trop », et, par extension « accessoire » ) pour « rendre des services ». Voilà qui témoigne d’une haute image de la fonction des maîtres de RASED ! « Sédentarisés » dans le cadre d’une classe, nous ne pourrons plus apporter les compétences liées à nos spécificités et qualifications, car celles-ci s’exercent différemment, en d’autres lieux, par la mise en place de médiations spécifiques consécutives à une analyse pluridisciplinaire effectuée en équipe de réseau, sous le pilotage des Inspecteurs de l’Education Nationale ( IEN ). Cette sédentarisation, déontologiquement inacceptable, serait synonyme, dans les faits, de « dé-spécialisation ». Quant à la mission encore floue dévolue aux personnels sédentarisés sur une école, elle nous apparaît comme une régression, un retour à l’époque des Groupements d’Aides Psycho-Pédagogiques. Ces mesures risquent par ailleurs de réduire considérablement le champ d’intervention des RASED restants, alors que 14000 enfants supplémentaires devraient être inscrits dans les écoles à la prochaine rentrée scolaire.

Dans les deux cas – sédentarisation en classe ou dans une école, il s’agit bien, ou d’une perte d’identité professionnelle ou d’un affaiblissement sans précédent des RASED encore existants ! Car, si des écoles ont besoin de l’intervention massive – à temps plein, de maîtres spécialisés, il faut développer le dispositif RASED pour que tout enfant en difficulté, de toute école, puisse bénéficier de son aide. A ceci, vous répondez que « les élèves en difficulté seront à l’avenir aidés par leur maître qui aura reçu pour cela une formation spéciale ». Pensez-vous sérieusement que l’on puisse brader une formation d’un an par des stages de formation-sensibilisation sur les difficultés multiples que peuvent rencontrer les élèves, difficultés qui justifient l’existence et la complémentarité des professionnels des RASED ainsi que leur disponibilité pour travailler avec les partenaires extérieurs ( services sociaux et médico-psycho-pédagogiques notamment ) ? Allez-vous vous inspirer de la préparation actuelle des Animateurs de Vie Scolaire chargés d’accompagner les élèves handicapés scolarisés, préparation limitée à 3 heures d’information sur l’ensemble des troubles ( autisme, infirmité motrice cérébrale, dyslexie, dysphasie etc ) ? La formation des professeurs des écoles ayant vu la part consacrée au module « élèves en difficulté et handicap » réduite de 27 h il y a une dizaine d’années à 12 puis 6 h, pensez-vous que tout cela soit bien raisonnable ?

L’ensemble de ces propositions sert de prétexte, d’habillage pour qu’à terme, les RASED soient supprimés budgétairement. Or, par qui ces élèves à besoins éducatifs particuliers adressés précédemment aux RASED seront-ils pris en charge ? Certaines familles feront la démarche de s’adresser à l’extérieur de l’école, aux orthophonistes, aux CAMSP, CMP et CMPP, mais ces professionnels sont déjà débordés, et les délais de prise en charge seront encore allongés. D’autres familles acceptent de travailler avec le RASED parce que c’est un dispositif interne à l’école, mais ne feront jamais la démarche de consulter d’autres organismes. C’est pourquoi nombre d’enfants se retrouveront sans aide, laissés pour compte. Enfin, quel surcoût pour la société ( et la sécurité sociale ) aura le suivi extérieur à l’école, sachant qu’une séance en CMPP, par exemple, revient à environ 100 euros par enfant ?

L’objet de notre lettre est de vous informer que nous ne serons ni acteurs ni complices de ce processus de destruction du seul dispositif inclusif dédié, au sein de l’Ecole de notre République, aux élèves les plus fragiles. De sorte que, si aujourd’hui nous décidons d’entrer en résistance, c’est par nécessité. Pour servir la cause de l’intérêt public, parce que les réseaux d’aides renforcent la dimension humanisante de l’école, participent concrètement à la lutte contre l’échec scolaire, contre la violence et la marginalisation sociale, les membres des RASED du Nord signataires s’engagent devant vous :

- à ne pas leurrer les familles qu’ils rencontrent, à les informer sur les lourdes conséquences de la disparition des RASED pour leurs enfants,
- à ne pas laisser croire que les nouveaux dispositifs proposés ( aide personnalisée et stages de remise à niveau ) permettront de traiter la grande difficulté et réduiront ainsi l’échec scolaire,
- à ne pas cautionner la création des jardins d’éveil payants car, comme le souligne Philippe MEIRIEU, « ce sont des systèmes de garde aux ambitions éducatives bien moins grandes » entraînant à termes la disparition de l’école maternelle dont « les modèles pédagogiques sont solidement ancrés dans une tradition et étayés par la recherche » ayant pour « obsession de rétablir, par l’Ecole, un peu de justice sociale ». La scolarisation tardive de certains élèves issus des catégories socio professionnelles les plus précaires augmentera inévitablement l’échec scolaire, il en résultera un nombre plus élevé d’enfants en
difficulté à gérer dans les classes. L’enseignant sera alors bien démuni et portera seul la lourde responsabilité du traitement de la difficulté (2).

Les enseignants qui ont choisi un jour de se spécialiser l’ont fait pour combattre au plus près et de manière différente la difficulté scolaire en s’engageant auprès de ces élèves qui la vivent quotidiennement. Or, à l’heure où les « décrochages » scolaires se démultiplient, où les conditions socio-familiales se dégradent, où les difficultés d’adaptation et de comportement – dès l’école maternelle – n’ont jamais été aussi nombreuses, à l’heure où l’aide à la parentalité constitue un enjeu de société voire de civilisation, la sédentarisation des 3000 maîtres spécialisés, entérinée lors de l’examen du budget au parlement puis au Sénat, va conduire de façon inéluctable à un affaiblissement immédiat des équipes des RASED, de l’ensemble des équipes enseignantes qui ne vont plus avoir l’aide nécessaire, mais avant tout elle va porter un grave préjudice aux élèves touchés par la grande difficulté scolaire. Cette mesure ne rendra que plus difficile la vie de tous les acteurs de l’école et, en premier lieu, des enfants. Elle nous place, nous les enseignants des Rased, dans une situation psychologiquement dangereuse face au risque de perte de notre identité professionnelle, face au sentiment de disqualification ou de rétrogradation pouvant en résulter. Le caractère anxiogène de la « loterie qui nous pend au dessus de la tête », d’être convoqué ou d’avoir déjà été convoqué pour collaborer au processus de notre disparition menace grandement notre équilibre psychique personnel, ( la lettre que vous a adressée le mari de notre collègue rééducatrice retrouvée pendue dans sa salle de travail à Massy, dans l’Essonne, est là pour tragiquement en témoigner ). C’est pourquoi, nous vous demandons, Monsieur le Ministre, de renoncer à la sédentarisation des enseignants spécialisés.

Profondément attachés aux valeurs de l’école républicaine, laïque et gratuite, les enseignants spécialisés des RASED continueront à promouvoir une école de la réussite pour tous et à dénoncer l’hypocrisie qui consiste à parler de « sédentarisation » là où il est question de suppression de postes, de disparition d’identités professionnelles forgées par des décennies de recherches, d’économies budgétaires à court terme « sur le dos de la difficulté scolaire » (3).

Espérant que notre requête soit entendue et examinée favorablement, nous vous assurons, Monsieur le Ministre, de nos sentiments déterminés, respectueux et dévoués à la cause de l’école publique pour tous.



(1) La quasi-totalité des syndicats représentants les enseignants sont signataires de l’appel à maintenir et développer les RASED. La pétition en ligne et celle recueillie sur papier approchent les 300 000 signataires. Les deux principaux syndicats d’Inspecteurs, les syndicats de la Médecine scolaire FO et Unsa soutiennent également les RASED, au même titre que la FCPE, la PEEP, la Fédération des Orthophonistes de France, la Fédération des CMPP, des associations pédagogiques ( ICEM, AGSAS, pédagogie institutionnelle ), l’Association Nationale des Conseillers Pédagogiques, de nombreux conseils municipaux, des conseils d’école, des députés et sénateurs y compris du Centre et de Droite, des personnalités, des scientifiques et des pédagogues tels que Philippe Meirieu, Edgar Morin, Elisabeth Roudinesco, Pierre Delion, Serge Tisseron, Jean-Daniel Nasio, Albert Jacquard, Jack Lang, Miguel Benasayag, Serge Boimare, Jean Biarnes, Eric Plaisance, Bernard Defrance, Richard Horowitz, Michel Onfray, Hubert Montagner, Martine Aubry…


(2) Le président des Etats-Unis, nouvellement élu, ne propose-t-il pas de développer des écoles maternelles publiques tant son aspect préventif est utile à la cohésion sociale particulièrement en période de crise…

(3) La suppression des 3000 postes Rased représente 100 millions d’euros, soit moins de 2/1000 ème du budget de l’Education Nationale. Elle touche plus de 130 000 enfants. La niche fiscale concernant le financement des cours de soutien privés s’élève à 80 millions d’euros ( chiffre avancé par S. Mazetier, vice-présidente du groupe socialiste à l’Assemblée nationale ).

Autre lien :   La défense de l'enfance

Partager cet article
Repost0

commentaires